VOUS AVEZ RATÉ VOTRE VIE ? AVEC NOUS, VOUS RÉUSSIREZ VOTRE MORT ! Imaginez un magasin où l’on vend depuis dix générations tous les ingrédients possibles
pour se suicider. Cette petite entreprise familiale prospère dans la tristesse et l’humeur sombre jusqu’au jour abominable où surgit un adversaire impitoyable : la joie de
vivre.
” INTERVIEW ” Propos recueillis par Guillaume Monier pour Evene.fr - Janvier 2007
Roman atypique par sa forme donc, il l’est également par son histoire, comment vous est venue l’idée d’une telle intrigue ?
En faisant des recherches sur Rimbaud et Verlaine, je lisais beaucoup de choses sur la poésie de la fin du XIXe siècle et j’ai vu qu’on les rangeait parmi
les poètes décadents. Parmi eux, il y avait une bande de jeunes étudiants qui avaient monté un groupe de poètes et se nommaient les Désenchantés. Ils avaient écrit une oeuvre qui avait pour
titre ‘Le Magasin des suicides’. A chaque fois que je passais dessus, je me disais que ce titre était vraiment accrocheur : le magasin des suicides…. A partir de cette expression, on a
l’impression que tout le reste vient. Et c’est ce que j’ai fait, j’ai essayé d’écrire quelque chose.
Ce serait une petite boutique, il y aurait une famille qui serait très sombre, mais il faut un intrus, un élément perturbateur. D’où le dernier enfant. Eux qui ne testent aucun produit de leur
magasin - et pour cause ! - ont tout de même essayé un préservatif percé (pour ceux voulant mourir par contamination), ainsi déboule Alan. Il embête tout le monde. Je suis parti un peu de mon
fils adolescent : on a tellement de mal souvent à les comprendre, je transpose ça dans mon livre, en négatif bien sûr. Et si les Tuvache avait un môme à l’envers du mien ? Et qu’ils en soient
désespérés ? C’est peut-être pour ça que les gens se reconnaissent dans le livre : beaucoup d’entre eux se mettent à la place des parents Tuvache.
Bien sûr. J’ai essayé de trouver le plus de documents et de livres possibles sur le suicide et je piochais dedans pour trouver des idées. La préparation
n’était pas très gaie ! Cela m’a d’autant plus donné envie de me libérer dans l’écriture. C’est au cours de mes recherches que j’ai trouvé le nom du dernier enfant : Alan, comme Alan Turing et
son suicide à la pomme empoisonnée. Ca s’est vraiment passé, c’est incroyable. Et la pomme d’Apple serait venue de cette histoire… Alan Turing est un personnage totalement inconnu alors que
sans lui l’informatique n’existerait pas. Il a connu un destin tragique et exceptionnel ; parfois je me dis qu’il y aurait un roman a faire sur lui.
L’ouvrage a-t-il été difficile à écrire ?
Eh bien non. C’est venu tout seul. A l’inverse de mes autres livres, une fois parti, c’était comme une rigolade, je suis allé jusqu’au bout assez vite. Il
m’a fallu 3 à 4 mois pour l’écrire (2 ans pour ‘Je, François Villon’).
N’avez vous pas peur des réactions, vous parlez de suicide tout de même ?
Au contraire. C’est un humour plus anglo-saxon que français, mais bizarrement, ça a l’air de plaire aux gens et de les faire rire. Ce n’est pas du tout une
apologie du suicide, bien à l’inverse. Comme dans le livre, ceux qui ouvrent la porte du magasin ont déjà réglé leurs problèmes. J’espérais que ce livre soit drôle : les gens qui le lisent et
qui en parlent le trouvent revigorant. Ca leur fait du bien alors que, paradoxe, il n’y a pas une page où l’on ne parle pas de mort dans ce roman. Ca ne donne pas envie de se suicider mais
juste de pousser la porte du magasin. Plaisir des yeux seulement !
Voudriez-vous l’adapter au théâtre ? L’histoire s’y prêterait plutôt bien ?
Oui, c’est ce qui me tenterait le plus. Ca doit être “le pied absolu” : écrire une pièce, se retrouver dans une salle, avec des acteurs disant vos mots…
Mais cela me fait très peur, je ne sais pas pourquoi. Pour l’instant, j’attends les réactions mais j’aimerais beaucoup.
Est-ce vous qui avez illustré les couvertures de vos livres ?
Je l’ai fait avec un jeune dessinateur, Frédéric Poincelet, graphiste de talent travaillant au Louvre. Je ne voulais pas du tout que la couverture soit
sombre, mais qu’elle apparaisse plus comme un bonbon acidulé, pour contrebalancer le titre un peu provocateur. Frédéric doit déjà penser à la couverture du prochain.
EXTRAITS
« C’est un petit magasin où n’entre jamais un rayon rose et gai. Son unique fenêtre, à gauche de la porte d’entrée, est masquée par des cônes en papier, des boîtes en carton empilées. Une
ardoise pend à la crémone. Accrochés au plafond, des tubes au néon éclairent une dame âgée qui s’approche d’un bébé dans un landau gris : - Oh, il sourit ! Une autre femme plus jeune - la
commerçante -, assise près de la fenêtre et face à la caisse enregistreuse où elle fait ses comptes, s’insurge : - Comment ça, mon fils sourit ? Mais non, il ne sourit pas. Ce doit être un pli
de bouche. Pourquoi il sourirait ? Puis elle reprend ses calculs pendant que la cliente âgée contourne la voiture d’enfant à la capote relevée. Sa canne lui donne l’allure et le pas maladroits.
De ses yeux mortels - obscurs et plaintifs - à travers le voile de sa cataracte, elle insiste : - On dirait pourtant qu’il sourit. »
« - Alan !… Combien de fois faudra-t-il te le répéter ? On ne dit pas «au revoir» aux clients qui sortent de chez nous. On leur dit «adieu» puisqu’ils ne reviendront jamais. Est-ce que tu vas
finir par comprendre ça ?Lucrèce Tuvache, très fâchée dans le magasin, cache entre ses mains crispées dans le dos une feuille de papier qui tremble au rythme de sa colère. Penchée sur son petit
dernier, debout en short devant elle et qui la regarde de sa bouille réjouie, elle le sermonne, lui fait la leçon :
- Et puis cesse de chantonner (elle l’imite) : «Bon-zou-our !…» quand des gens arrivent. Il faut dire d’un air lugubre : «Mauvais jour, madame…» ou : «Je vous souhaite le grand soir, monsieur.»
Et surtout, ne souris plus ! Tu veux faire fuir la clientèle ?… Qu’est-ce que c’est que cette manie d’accueillir les gens en roulant des yeux ronds et en agitant les index dressés en l’air de
chaque côté des oreilles ? Crois-tu que les clients viennent ici pour contempler ton sourire ? Ça devient insupportable, ce truc-là. On va te mettre un appareil ou te faire opérer !
Un mètre soixante et la quarantaine finissante, Mme Tuvache est furibarde. Cheveux châtains et plutôt courts balayés derrière les oreilles, la mèche oblique sur son front donne de l’élan à sa
coiffure. »